témoignages + 2010 septembre 9 - Rome - LES RUES DU GUATEMALA ET LE MOJOCA
Chères amies, chers amis des filles et garçons de la rue,
Depuis des semaines de silence, dû à des problèmes de santé qui m’ont fait retarder mon voyage au Guatemala, je vous envoie la première lettre, non de la rue, mais sur la rue. Je suis quotidiennement en contact avec le Mojoca par courriel ou skype, surtout avec les jeunes du Comité de gestion, avec les départements d’administration et de comptabilité, avec la maison des jeunes femmes et enfants. Nora, qui devait m’accompagner au Guatemala pour un mois, y est allée seule et a fait un bon travail de supervision et de formation.
PLUIES TORRENTIELLES DEPUIS DEUX MOIS.
Des tempêtes tropicales, des pluies torrentielles depuis au moins deux mois, sont en train de causer des ravages incalculables, glissements de terrain qui ensevelissent des dizaines de personnes, destruction de tronçons de routes intercontinentales qui rendent les communications impossibles. Et comme toujours, les plus atteints sont les pauvres. Beaucoup de Quetzalitas et beaucoup de jeunes sont en danger, ceux qui vivent dans des conditions précaires avec leurs enfants, souvent dans des baraques construites au bord d’un ravin dans un des nombreux bidonvilles de la capitale.
Beaucoup d’enfants sont avec leur mère dans un hôpital public misérable pour une bronchopneumonie et il y a environ un mois, un enfant de cinq ans qui vivait dans la Maison du 8 mars avec sa mère Myriam et sa petite sœur Mishell, est mort à l’hôpital général Saint Jean de Dieu.
DES BANDES CRIMINELLES ONT LE CONTRÔLE DE ZONES DE PLUS EN PLUS ÉTENDUES DU TERRITOIRE.
Comme dans les années de la guerre civile au Salvador il y avait les zones libres contrôlées par la guerilla, le Guatemala a de plus en plus de zones et de quartiers « libres » dominés par des bandes de délinquants et où l’armée et la police n’osent pas entrer. C’est le cas du « Limón », quartier périphérique de la zone 18, où j’ai vécu dix ans dans la maison de mon grand ami Piero Nota. Piero fut contraint il y a quelques années, de retourner en Italie avec la famille qui vivait avec lui parce que, après des menaces sans effet, les narcotrafiquants ont fait irruption dans la maison, les contraignant à l’exil. Leur travail avec les jeunes leur enlevait de la main d’œuvre. Beaucoup de nos jeunes vivent au Limón ou dans des quartiers et bidonvilles dans des conditions dangereuses. Les prix pour louer une ou deux chambres sont plus bas parce que les gens s’enfuient et les commerces ferment.
ON A ASSASSINE ERIKA
On l’appelait « la Lapine ». Elle avait été la compagne d’un des chefs d’une mara plus cruelle qui, de la prison, continuait ses activités criminelles. Elle avait eu un fils de lui. Puis, elle est entrée à la maison des filles où elle avait fait des progrès spectaculaires. Elle travaillait comme assistante cuisinière. Elle a eu un second fils ; le premier était jaloux, ne mangeait plus et régressait. La mère a tenté de résoudre les problèmes de la manière forte. Quelques-uns ont proposé de la punir, mais au contraire, avec Naty, nous lui avons expliqué les raisons du comportement de son fils et conseillé une façon différente de le traiter. Elle l’a fait et en peu de temps, la situation avait radicalement changé, mère et fils ont vécu le moment le plus beau, je pense, de leur vie.
Ensuite, elle a trouvé un autre compagnon et ils sont allés vivre tous les quatre dans une chambre louée. Après une brève lune de miel, ont commencé les problèmes, les coups, la drogue. Ils se sont séparés et elle est retournée à la rue. Elle avait conservé des liens avec l’ex-compagnon des maras. Elle a été arrêtée et incarcérée. Libérée, elle est retournée à la même vie après avoir confié ses enfants à un juge qui les a enfermés, pauvres petits, dans une institution où nous n’avons pas le droit d’aller leur rendre visite. Leur futur est incertain, entre l’adoption ou la rue.
Puis la conclusion tragique de la vie brève d’Erika, retrouvée assassinée jeudi dernier. Des sentiments divers m’étreignent, la douleur de la perte d’une personne chère, qui a vécu avec nous dans notre maison et le goût amer de la défaite parce que je n’ai pas, nous n’avons pas été capables de les sauver, elle et ses enfants. Nous avons encore beaucoup à apprendre sur l’aide à donner à qui sort de prison et qui fait souvent peur à cause de ses liens avec les maras. Nous avons encore beaucoup à apprendre pour donner la priorité à qui en a le plus besoin.
FINALEMENT, L’ENTREPRISE DU MOJOCA VA DEMARRER ; ELLE S’APPELLERA PROBABLEMENT « ATELIERS SOLIDAIRES ».
Son but est de donner du travail aux filles et garçons sortis de la rue ou qui veulent en sortir, à partir de nos ateliers de boulangerie, pâtisserie, cuisine et couture. Et, si c’est possible, nous voudrions faire des bénéfices pour subventionner les autres activités du Mojoca. C’est depuis 2007 qu’on en parle et depuis 2008 qu’on cherche le moyen de la réaliser. Nous avons dû nous résoudre à l’échec des programmes de micro-entreprises et de réinsertion professionnelle et une association italienne a proposé une subvention pour cette initiative.
L’initiative n’était pas facile : il fallait trouver des personnes capables de monter une entreprise avec des jeunes non habitués à travailler et trouver la voie qui permette à une association non lucrative de le faire. Ce fut l’objet de la première réunion du Conseil d’Administration dès mon arrivée au Guatemala avec Nora. J’ai demandé à Mirna Cute qui a étudié dans une faculté d’administration d’entreprise, si elle voulait se charger de la responsabilité de l’entreprise et elle s’est montrée immédiatement intéressée.
Mais les temps n’étaient pas mûrs. Tout fut bloqué en août 2008 avec les tentatives d’extorsion et les menaces de mort contre plusieurs d’entre nous et le renom de l’administratrice du moment. Beaucoup avaient peur, quelques-uns pensaient à démissionner. Ce n’était pas le moment pour de nouvelles initiatives.
Il fallait rassurer en prenant des mesures de sécurité, continuer les activités existantes, trouver une nouvelle administratrice. Tout cela se passait pendant que se reconstruisait la maison de la treizième rue et que les activités étaient dispersées dans différents endroits.
Il a fallu presque deux ans pour trouver le moyen qui nous permette d’émettre des factures. Après une étude attentive, nous avons écarté l’idée de société anonyme ou personnelle parce qu’elle aurait donné à d’autres l’entreprise du Mojoca et aussi la coopérative parce qu’il était impossible pour nous d’avoir les conditions requises par la loi. D’autres propositions ont été refusées par le Bureau des Recettes et finalement nos réviseurs de comptes ont obtenu la permission d’émettre des factures pour les produits de nos ateliers sans perdre notre statut d’association non lucrative exempte d’impôts.
En août de cette année, Patty Garcia, qui était la responsable des ateliers, des micro-entreprises et de la réinsertion professionnelle, a renoncé à son travail. Les circonstances étaient favorables pour relancer la proposition de confier à Mirna la responsabilité des ateliers solidaires, ce dont je n’avais cessé de parler avec elle durant les deux dernières années. Nora a su saisir ce moment favorable pour proposer à nouveau cette idée.
Mirna commence son nouveau travail ce 16 septembre J’espère qu’elle pourra atteindre de façon raisonnable les objectifs de son contrat, dans un climat d’amitié et de collaboration avec tout le Mojoca. A elle et à tout le Mojoca, mes vœux affectueux de réussite.
AUTRES CHANGEMENTS.
Melina Garcia a été nommée à la Maison du 8 mars, au poste de Mirna. Elle est jeune mais très appréciée par les filles et par les enfants de la maison et je pense qu’elle travaillera en harmonie avec Naty et contribuera au développement de la maison. Mes vœux affectueux aussi pour elle et pour toute la communauté des filles.
Nous préparons d’autres changements pour le début de l’année 2011.
Les progrès considérables de notre école avec trois nouveaux instituteurs – on prévoit au moins dis fois plus de promotions que l’année dernière – sont la preuve qu’il faut avoir le courage d’accomplir les changements nécessaires.
LES LECONS D’UNE CHUTE.
Les problèmes de santé, conséquences d’une chute que j’ai faite début juin, rendent plus nécessaire que jamais la participation de tous, au Guatemala, en Italie et en Belgique. J’espère avoir le temps nécessaire pour former les cadres du Mojoca. Des personnes expertes au niveau international comme Ellen, Verryt de « Solidarité Mondiale » ou dirigeants d’ONGs locales ou de syndicats, apprécient beaucoup notre présidente pour sa vision de la société, sa capacité à élaborer des comptes-rendus descriptifs et d’élaborer des projets. Elle montre aussi des dons de médiatrice, comprend bien notre projet. Son expérience de la vie de la rue lui donne une grande sensibilité sociale. Notre psychologue a fait de grands progrès dans son travail professionnel et est une bonne formatrice. Malheureusement, la seconde psychologue, Patty Morales, nous quitte ; elle se marie et va vivre au Pérou. Elle a très bien travaillé avec les Mariposas et a réussi à faire parler de leurs problèmes les enfants qui ont subi des violences sexuelles. Le secteur de la comptabilité est efficace ; la secrétaire travaille de manière excellente. Les nouveaux instituteurs sont très bons et, qui plus qui moins, tous les jeunes du Comité de gestion se sont responsabilisés davantage. Toutes et tous commettent des erreurs, doivent s’améliorer mais ma vision du personnel est positive.
Mais plus que jamais, chères amies et chers amis, les filles et les garçons de la rue et du Mojoca ont besoin de votre amitié pour réaliser leurs rêves.
Je vous embrasse cordialement,
Gérard