témoignages + 2003, Novembre -  Nous, les jeunes des rues, nous sommes capables d’être responsables de nous-mêmes, de nos enfants, de notre mouvement

 

MON ENFANCE DANS LA RUE

Je m’appelle Lorena, je suis vice-présidente du Mouvement des Jeunes des Rues, j’ai 20 ans et un petit garçon de 2 ans. Je suis sortie à l’âge de 5 ans de ma maison parce que mon beau-père me faisait subir des mauvais traitements et ma mère ne croyait pas ce que je lui disais et c’est dans les groupes des rues que j’ai trouvé l’amour, le respect, la solidarité que je n’avais pas dans ma famille. Mais mes camarades ne pouvaient pas combler le sens de solitude dont je souffrais parce qu’ils en souffraient eux aussi. Quand on est petit, on a besoin de l’amour des parents et puis les enfants dans la rue sont facilement trompés par des adultes qui ne veulent pas chercher leur bien mais cherchent seulement profiter d’eux. J’ai marché avec beaucoup de groupes où j’ai eu différentes expériences et je me suis stabilisée avec un groupe où il y avait une soixantaine de petites filles, de garçons et d’adolescents.

UN CAMP DE CONCENTRATION RELIGIEUX

Une nuit, alors que nous dormions tous ensemble dans le petit parc qui nous servait de maison, nous avons été réveillés à coups de bâton par des hommes qui nous ont obligés par la force à embarquer dans une camionnette. Ils nous ont emmenés dans une maison d’une secte religieuse où j’ai été séquestrée pendant près d’un an. Là, ils nous ont maltraités : nous devions nous lever à 4 H. du matin, faire la douche avec de l’eau froide durant l’hiver, manger une misérable nourriture dans les plats où mangeaient les chiens, nous devions assister à des cultes religieux de 2 à 3 heures chaque jour, matin et soir, apprendre par cœur des pages de la Bible et celui qui ne les apprenait pas étaient privés de nourriture ou on le frappait ; il y avait beaucoup de genres de punition dans cette maison : on te frappait avec un bâton, on te privait de nourriture, on te mettait dans une cellule d’isolement toute noire sans nourriture, mais la punition que le pasteur préférait c’était d’obliger les filles, surtout les plus petites de 9, 10 ans, à passer la nuit avec lui dans son lit. Il y a des filles qui étaient enceintes et qui ont perdu leur enfant à cause des coups qu’elles ont reçus. Moi, j’ai réussi, après 4 essais, à m’enfuir de la maison, en profitant du fait qu’on m’envoyait pour vendre des gravures dans la rue pour soutenir – disait-il – les enfants des rues.

CEUX QUI DEVRAIENT NOUS PROTEGER ABUSENT DE NOUS

Après quelques temps, je suis retournée dans mon groupe. un soir, un policier des forces spéciales est venu nous trouver et nous accuser d’avoir assassiné une femme et puis, sous la menace du revolver, il a obligé toutes les filles à se dévêtir sous prétexte qu’il devait contrôler si elles n’avaient pas de drogue, puis il a abusé d’elles. Cet événement fut traumatique pour moi parce que je n’avais jamais subi cette violence, surtout de la part d’un homme qui devait nous protéger parce qu’il était un policier. Puis, nous avons su qu’il avait violé beaucoup d’autres filles. Nous l’avons dénoncé avec l’aide de deux institutions qui s’occupent des enfants des rues, mais ils n’ont pas suivi le cas quand ils ont reçu des menaces de ce délinquant qui était quelqu’un d’important dans l’armée, qui avait participé au génocide de Rios Montt durant la guerre civile. Ces institutions nous ont chassés et nous avons dû renoncer à toute poursuite religieuse. Les filles et les garçons des rues habituellement gardent le silence quand leurs droits sont violées, parce qu’ils sont timides et parce qu’ils ont peur des représailles, d’être tués, de ne pas être crus. Mais à la fin ce silence tue peu à peu ton cœur qui est écrasé par tant de violences, tant de mauvais tratitements, tant de silence. Et alors tu as envie d’en finir avec cette vie.

LES INSTITUTIONS QUI S’OCCUPENT DES ENFANTS DES RUES

J’ai l’expérience des foyers deux institutions, mais j’en suis toujours sortie parce que cela ne me plaisait pas ; bien sûr, je recevais toutes les choses matérielles dont j’avais besoin : un toit, un lit, la nourriture, des vêtements, des souliers, des soins de santé, etc, mais je n’avais pas ce qui était le plus important, le respect de ma personne, je n’avais pas le droit d’exprimer ce que je ressentais, ce que je pensais, je devais faire tout ce que disaient les adultes, c’était eux qui décidaient de ma vie et pas moi.

LE MOUVEMENT DES JEUNES DES RUES

Je suis donc retournée dans mon groupe de la rue, puis j’ai connu le Mouvement des Jeunes des Rues. Au début, je pensais que c’était une institution comme toutes les autres, mais un peu à la fois, j’ai vu que c’était très différent : dans le Mouvement, on ne te donne pas les choses pour rien, tout doit se conquérir par un effort personnel, ils veulent que l’on participe activement, on doit gagner avec nos efforts ce que l’on nous donne, ils nous disent que c’est nous-mêmes qui devons décider de notre vie, nous devons être protagonistes de nous-mêmes et du Mouvement, là nous pouvons exprimer ce que nous pensons. Dans le Mouvement, il n’y a pas de supérieurs, les éducateurs sont des amis.

Après quelques mois de participation, j’ai été choisie pour un échange avec une organisation du Pérou, j’avais 18 ans. Avant le voyage, j’ai fait une visite médicale et à ma grande surprise, le médecin m’a dit que j’étais enceinte de 5 mois. En sortant de là, j’ai rencontré ma mère que je ne voyais plus depuis des années, je lui ai dit ce qui m’arrivait et elle m’a promis qu’elle aurait changé de vie, qu’elle se serait séparée de l’homme qui m’avait fait tant de mal, qu’elle aurait renoncé à la drogue et qu’elle m’aurait accueillie avec mon enfant dans la maison ; j’étais contente parce que malgré les années de séparation, j’aimais ma maman et j’aurais pu ainsi récupérer mon enfance perdue, j’aurais été aidée pour élever mon fils. Je suis donc partie heureuse pour le Pérou, je suis restée un mois et à mon retour, je n’ai pas trouvé ma mère à l’aéroport comme elle l’avait promis et puis mon frère m’a dit qu’elle était morte.

TOUT S’ECROULAIT

Tout s’écroulait pour moi parce que ma mère, c’était la seule personne que j’avais au monde. Même si elle n’avait pas accompagné mon enfance, je l’aimais, c’était  elle qui m’avait donné la vie. Trois jours après, j’ai eu mon bébé, mais j’étais triste, je me sentais seule, je ne savais pas comment élever mon enfant, je ne savais pas comment lui donner ce qui est nécessaire pour vivre ; alors, j’ai pensé plusieurs fois à le confier à une autre personne. J’étais tellement désespérée que j’ai recommencé à prendre la drogue et puis quand mon enfant avait 3 mois, il est tombé gravement malade, les médecins disaient que c’était une infection du sang et qu’il aurait pu en mourir et alors, je suis entrée dans une grande crise parce que mon fils était tout ce qui me restait au monde, je ne voulais pas le perdre.. Alors je me suis assise, je me suis mise à penser et le Mouvement m’est retourné à l’esprit ; j’ai pensé que là on me disait que c’était moi qui devait prendre les décisions pour ma vie, alors j’ai décidé que pour sauver mon enfant, pour prendre soin de moi, je serais sortie de la rue et j’ai donc été au Mouvement, je leur ai demandé une aide. Ils m’ont donné une aide psychologique - j’en avais bien besoin parce que je me sentais très mal – et aussi une aide morale et spirituelle ; ils m’ont aidée à louer une petite chambre, donc j’ai pu …, ils m’ont aussi donné et payé des médicaments pour soigner mon fils et après un mois, il a été guéri. C’est ainsi qeu je suis sortie de la rue, par amour pour mon enfant et par amour pour moi-même.

MEMBRE DE LA COORDINATION

L’an dernier, j’ai été élue dans le groupe de coordination qui dirige le Mouvement avec les éducateurs. J’ai été chargée du secteur de la formation des filles. Nous faisons des réunions pour discuter de nos problèmes, reprendre confiance en nous, retrouver l’estime de nous-mêmes, parler des problèmes de santé, de comment éviter les maladies vénériennes et le sida. Nous avons aussi parlé des droits des femmes, nous faisions aussi des ateliers de formation professionnelle.
C’est une expérience très belle pour moi, j’ai appris à aimer mes compagnes et elles m’ont aimée, j’ai appris à les respecter et elles m’ont respectée.

Mais nous, les jeunes de la coordination, nous n’étions pas tout à fait contents de comment allaient les choses parce que nous avions l’impression que les éducateurs avaient plus de pouvoir que nous. Alors, nous leur avons proposé de prendre en charge une semaine d’autogestion et ils ont accepté. Donc, une fois par mois, c’est nous qui prenons les initiatives pour le Mouvement : nous programmons et réalisons toutes les activités dans la rue et dans la maison, c’est-à-dire l’éducation, l’école, la formation professionnelle, les réunions de formations, la cuisine, nous faisons tout nous-mêmes et à la fin de la semaine, nous faisons une évaluation de ce que nous avons réalisé et nous essayons que tous nos camarades des rues puissent participer aux décisions pour diriger avec nous le Mouvement. Je suis contente et fière de cette expérience parce que nous, de la rue, nous prouvons que nous sommes capables d’être responsables de nous-mêmes et de notre mouvement alors que les gens et mêmes les dirigeants des autres institutions disent que nous sommes des bons à rien, que ce sont les autres qui doivent nous dire ce que nous devons faire.

Il y a quelques mois, j’ai été réélue dans la coordination et nommée vice-présidente. Maintenant, je travaille, je suis responsable du travail dans la rue et cela me plait beaucoup parce que je peux me rendre compte des conditions de vie et des problèmes de chacun de mes camarades. Avant, j’étais préoccupée seulement par mes problèmes ; le Mouvement, mes camarades, les filles et les garçons des rues, c’est ma famille et je suis fière de les représenter parce que je fais partie d’eux-mêmes, 

LES QUETZALITAS

Je participe aussi à un groupe d’aide mutuelle, qui s’appelle les « Quetzalitas » qui est formé par des jeunes mères qui sont sorties de la rue ; nous nous réunissons deux fois par mois le dimanche pour toute la journée, notre priorité absolue, ce sont les enfants, nous parlons de nos problèmes, nous organisons une formation sur les problèmes des femmes, sur l’oppression des hommes, sur la violence, sur le manque d’estime de soi, sur l’éducation des nos enfants, nous invitons aussi une psychologue parce que nous avons besoin d’un appui psychologique pour pouvoir guérir les blessures de notre enfance, nous libérer de la violence et de la rancœur que nous avons accumulée et que nous pouvons défouler sur nos propres enfants, nous ne voulons pas qu’ils aient la même vie que nous et puissent souffrir des mêmes problèmes. Et puis, nous essayons aussi d’aider les mères et les enfants qui continuent à vivre dans la rue ; nous recevons aussi un appui économique pas très grand mais qui nous permet d’inscrire nos enfants à l’école maternelle ou à l’école primaire. Le groupe des Quetzalitas est autogéré et j’espère que bientôt, tout le Mouvement sera autogéré par nous. Le Mouvement, l’association des Quetzalitas ont pu naître et grandir grâce à l’amitié, à l’aide économique de beaucoup d’amis en Europe et nous les remercions. Cette aide est d’autant plus précieuse que l’an prochain, la subvention de l’Union Européenne qui nous a permis d’acheter une maison, va se terminer. Mais ce n’est pas l’argent qui est le plus important pour nous, mais la communication ; l’amour, le respect que nous recevons de la part de beaucoup de personnes qui ne nous connaissent même pas personnellement ; nous n’avions pas été traités de cette façon dans notre famille et cela nous aide beaucoup à ne pas nous décourager malgré les grandes difficultés que nous rencontrons lorsque nous sortons de la rue.

Mi je n’ai pas honte d’avoir été une fille des rues,ma famille c’est toutes les filles et les garçons des rues. Je fais partie d’eux !

Lorena a fait un bref séjour en Belgique et a fait 5 rencontres avec des groupes pour étendre le réseau d’amitié avec les filles et les garçons des rues. Elle vous invite à y participer. Comment peut-on participer ? La meilleure façon est de former un groupe d’amitié qui reste en communication avec le Mouvement, qui recevra tous les 2 mois une lettre de Lorena et des autres filles et garçons qui font partie du Mouvement, un groupe qui fait connaître la condition des enfants des rues et qui les aide et les soutienne financièrement en prenant des initiatives qui leur semblent les meilleures. Les personnes seules peuvent aussi nous aider, par exemple en faisant un ordre permanent de 5 euros ou plus par mois ou bien en assurant un parrainage d’un enfant des Quetzalitas, d’un enfant des filles de la rue, qui coûte 30 euros par mois ou bien en prenant une bourse d’études de la valeur de 50 euros par mois., 200 euros pour le « salaire » d’un coordinateur. Ce qui compte, c’est de former à la base des groupes qui cherchent une société meilleure fondée sur l’amitié et de nous unir contre le projet de mort de ceux qui dominent le monde

RESEAU D’AMITIE AVEC LES FILLES ET GARCONS DES RUES

POUR PRENDRE CONTACT

La coordination et l’administration sont assurées par le CDR d’Ansart., Contacts : Jacqueline Englebert, André Wenkin, rue du Monument, 7 - 6730 Ansart/Belgique,

Tél. 063/444349, Fax 063/446139

e-mail < cdr.ansart@skynet.be >

Lorena : mojoca@terra.com.gt

Gérard Lutte : gerardlutte@tin.it

POUR PARTICIPER

Pour aider le mouvement à faire face à une partie des dépenses mensuelles (loyer de la maison, salaires des accompagnateurs adultes, partie des frais de nourriture), nous voudrions lui assurer 12.000 euros par mois. L’objectif n’est pas difficile à atteindre : il suffit de trouver 250 personnes, familles ou associations disposés à donner cinquante euros par mois. LES DONS PEUVENT ETRE VERSES au compte N.068-211867023 de "AVEC LE NICARAGUA3, rue du Monument 7, 6730 Ansart, avec la mention "Guatemala"

POUR S’INFORMER

Gérard Lutte, "Les enfants de la rue au Guatemala: princesses et rêveurs", Editions L'Harmattan, Paris Un vidéo d’André Stuer, « leur histoire s’écrit dasn la rue… », Une valise pédagogique contenant:

1 - une cassette vidéo réalisée par André Stuer, "Leur histoire s'écrit  dans la rue",

2 le texte intégral du vidéo, 3- une série de photos.

www.amistrada.net