Lettres + 2008 june 4 - IMPRESSIONS SUR MOJOCA

 

J’ai lu quelque part que lorsqu’on visitait un pays pendant quelques jours, on écrivait un livre. Quand on le visitait quelques mois, on écrivait un article. Et quand on y avait passé sa vie, on n’écrivait plus rien du tout. J’ai passé une semaine au Guatemala, j’appartiens donc à la première catégorie, mais je me contenterai d’un article. Evidemment, pour ceux qui y ont passé une année de leur vie et qui sont discrets à ce sujet, cela peut paraître prétentieux d’en donner ses impressions après une semaine. En fait, c’est plutôt le contraire.

J’ai envie de partager cette expérience, ce que j’ai vu de la ville et un peu du pays, les contacts avec le Mojoca, les souvenirs qui me restent marqués dans l’esprit et dans le cœur. Je voudrais aussi convaincre ceux qui hésitent à se rendre sur place.

 

J’ai donc pris l’avion pour New York, alors que Gérard, Glenda et Carlos logeaient encore chez moi. En effet, Caroline, notre fille aînée était « graduated » à NY et de plus, elle recevait un « award » comme meilleure étudiante de sa faculté. Il fallait donc que quelqu’un de la famille soit présent. Et l’occasion était trop belle, pour ne pas faire un saut jusqu’à Guatemala Ciudad. Il y a des dizaines de vols low cost chaque jour des EU au Guatemala. J’ai ainsi fait les trajets Bruxelles-NY-Guate-NY-Bruxelles pour exactement… 604 euros. Donc les jeunes qui partent sac à dos avec un petit budget, vous voyez que ce n’est pas impossible si on veut bien passer des heures à chercher des vols sur Internet et passer des heures à attendre des correspondances dans les aéroports. Il faut savoir aussi que la vie au Guatemala est nettement moins chère qu’ici.

 

Nous sommes arrivés (Caroline et moi) le 20 mai à l’aéroport de Guate. Lucrecia nous y attendait avec un grand panneau « Bienvenudos a Mojoca, Carolina y André » et nous a conduit chez Naty (qui s’occupe du Mojoca et tient une petite pension). Le soir même, nous allons à la maison du 8 mars. La ville de Guate est oppressante (le soir, même pour 500 mètres, on doit se déplacer en taxi). Mais la maison du 8 mars est comme un îlot de sécurité, où la vie et l’amour l’emportent sur la violence. Il y avait douze filles et dix bébés. Pendant la réunion hebdomadaire des filles, Caroline et moi, on fera même office de baby-sitters pour les enfants les plus turbulents.

 

Je n’ai pas entendu le nom de Gerardo, mais celui d’«abuelo» (grand-père) et c’est bien le tire affectueux qu’il mérite. Cette seule visite, plus que tous les discours, les films, les reportages, les conférences convainc que l’abuelo - et tous les autres avec lui - font un travail formidable.

 

Il faudrait parler longtemps des personnes qui s’occupent du Mojoca, de leur compétence, leur amabilité, leur engagement (et aussi de leur accueil à notre égard : Lucrecia qui laisse son n° de GSM disant qu’on peut l’appeler n’importe quand – Naty qui nous laisse un GSM ‘local’ bien utile). Caroline (qui s’impliquait plus que moi qui reste toujours à distance des choses et des gens) résumait bien d’un seul mot, l’«ambiance» (et le secret de la réussite du mouvement) et ce mot, c’est l’amour.

 

Le lendemain, nous visitons la « maison de jour » du Mojoca. Elle est en construction et réfection : salle de douches, locaux pour les ateliers, etc. Et ensuite nous nous retrouvons à la casa de los amigos où tous les jeunes sont rassemblés dans une classe pour nous souhaiter la bienvenue. D’abord des garçons prennent la parole et ensuite des filles (bien plus « clean »). Je prends aussi la parole : « j’ai fait la connaissance de Gérard il y a plus de 50 ans, je l’ai perdu de vue pendant 20 ou 30 ans et quand plus récemment, je l’ai retrouvé presque par hasard et il ne m’a parlé que du Mojoca et des réseaux d’amitié avec le Mojoca… le Mojoca, c’est sa vie et c’est là qu’il se sent chez lui » et j’ai remercié pour l’accueil.

 

Et ensuite, on a fait des séances de photos… avec les T-shirts de mon club de badminton (qui avait déjà parrainé mon voyage à Rome en 2004). Ces photos serviront d’argument pour convaincre mon club de sponsoriser le Mojoca : mettre un lien vers le Mojoca sur leur site et donner 5 euros chaque année pour chaque inscription (180 inscrits). C’est ce que je vais demander. Je ne sais pas si ce sera accepté.

 

J’ai aussi eu le grand bonheur de retrouver Maria Elena et Quenia.

Plusieurs garçons me parlent d’Amélie, je dis qu’elle a eu un bébé. Un garçon parle de Xavier pour me dire qu’il parle très bien l’espagnol (ce dont je ne doutais pas)… je crois que c’était pour me dire que je ne le parlais pas très bien (ce que je savais).

 

René et Samantha nous invitent à les accompagner pour les contacts dans les rues. On ira dans une rue de la zona 4. «Quelles sont tes impressions ? » me demande René dans le bus du retour. Je dis que la première impression est très dure : le spectacle de ces gens couchés sur des matelas pourris, le manque total d’hygiène, les dégâts causés par la violence, par la drogue, par des conditions de vie extrêmes. Heureusement grâce à René et Samantha et parce que nous portons le T-shirt du Mojoca (important qu’on puisse nous « situer »), le contact s’établit avec nous aussi. L’un me pose des questions sur le foot en Belgique, un autre rigole de Caroline qui a laissé tomber de la couleur sur ses pieds (son vernis à ongle !)… A la fin en rond, tout le monde chante et danse. Et quand une heure et demie plus tard, on les quitte, j’ai comme un regret en pensant que mon séjour sera trop court pour que je les revoie.

Dans cette rue, on verra aussi une équipe médicale (deux personnes). Travail remarquable, mais différent, ils posent plus des actes techniques, ont des contacts bien entendu, mais cela s’arrête là. C’était tout à fait cocasse de voir après leur départ chacun ternir à la main dans un sachet sa provision de préservatifs. J’espère qu’ils les utiliseront.

On verra aussi une autre équipe : deux policiers, hyper équipés, gros casque, gilet pare-balles, armes à la ceinture. Ce sont les seuls qui m’ont donné froid dans le dos.

Après les contacts dans la rue, nous avons invité René et Samantha au restaurant.

 

Durant notre court séjour au Guatemala, on passera deux nuits au bord du lac Atitlan. Pour Caroline et aussi pour moi, je voulais revenir avec d’autres images du pays que la ville de Guatemala. J’avais été invité par un ami Espérantiste à loger dans sa maison, mais faute de temps (il habitait un petit village perdu), on s’est arrêté dans un petit hôtel à Panajachel.

Le dernier jour à Guatemala Ciudad, j’ai rencontré des Espérantistes. Le monde de l’Espéranto permet d’avoir des amis partout sur terre. J’avais rendez-vous le matin avec Aleksander Perez, un étudiant ingénieur civil (pour lui remettre de l’argent destiné à payer les études de deux filles prises en charge par un couple d’Espérantistes français). J’en ai profité pour lui faire visiter le Mojoca (la maison du 8 mars) et Lucrecia l’a « engagé » pour voir les travaux de la maison de jour. Je serais heureux de savoir s’il y a eu un suivi. Le soir un autre Espérantiste est venu me prendre en voiture pour une rencontre avec d’autres à Miraflores, un centre d’un luxe que j’ai rarement vu, style aéroport international de grande classe. Proprement choquant quand on pense que dans la même ville des gosses dorment dans la rue !

 

J’ai gardé encore d’autres impressions du pays, de la ville et du Mojoca. Ce qui m’a sans doute le plus impressionné, c’est le sérieux du travail réalisé par Gérard et son équipe. Je n’ai jamais pris Gérard pour un amateur. En fait, je n’avais pas d’idées à ce sujet, maintenant je peux témoigner du professionnalisme dans le travail fait pour les jeunes des rues. Ce professionnalisme (avec l’amour qui caractérise le mouvement) est le signe que ces jeunes sont respectés et pris au sérieux. C’est aussi un indice que l’autogestion (difficile à comprendre quand on ne le voit pas) est un mode de fonctionnement qui réussit pour autant que j’aie pu en juger. Certes le charisme de Gérard joue pour beaucoup dans l’existence du Mojoca, mais il a construit du solide, parce que c’est l’œuvre de tous.

 

En conclusion, je ne peux que vous inciter à aller jusque là.

Une visite sur place, même fort courte, vaut tous les articles, les conférences, les reportages, etc. Mieux que n’importe quel règlement, un contact sur place permet de mesurer ce qu’exigerait un engagement dans le Mojoca.

 

Une autre raison de cette visite est le projet d’organiser un voyage au Guatemala dans le cadre d’Entraide et Fraternité et de l’UCP (Union Chrétienne des Pensionnés) avec l’espoir de créer ainsi des solidarités durables (insertion dans les réseaux d’amitié). (Attention pour le moment, ce projet n’engage que moi, il n’engage ni EF, ni l’UCP – et de toute façon, il faut d’abord que le Mojoca dise s’il est ‘preneur’).

 

André Demarque